Cherchant à appréhender les déterminants de la vulnérabilité versus résilience d'un pays, le NVRI comprend cinq dimensions incontournables (économique, sociale, environnementale, gouvernance (politique) et périphéricité) de statut différent. Les variables économiques et politiques agissent simultanément sur les trois autres types : environnemental, social et périphérique. Les premières sont appelées dimensions de contrôle et les secondes dimensions de contingence. Ces dimensions sont représentées ci-dessous avec C1 la valeur totale du NVRI aux niveaux économique et politique et C2 l'équivalent en termes social, environnemental et périphérique. Le NVRI décrit alors quatre profils de vulnérabilité-résilience.
Quatre configurations théoriques de vulnérabilité versus résilience
Figure 2. Des profils différenciés de vulnérabilité versus résilience
Angeon & Bates (2015)
La situation qui apparaît en grisé sur le graphique est une configuration impossible. En effet, une vulnérabilité nette provenant des dimensions de contrôle ne peut en aucun cas favoriser des performances au niveau des autres dimensions. L'état de vulnérabilité incontrôlée arrive après mise en œuvre récurrente de politiques inappropriées (par exemple, choix de spécialisation productive, stratégie économique inadaptée, défaillance dans le système de gouvernance, règles de droit déficientes etc.). La situation de vulnérabilité contenue illustre le cas des pays qui ont adopté des choix judicieux de politique économique mais dont les performances négatives enregistrées dans les dimensions de contingence ne sont pas (encore) contrebalancées. La résilience limitée décrit une situation dans laquelle un pays enregistre des résultats satisfaisants du fait de ses performances dans ses dimensions de contrôle. Mais ces performances couvrent à peine les mauvais résultats obtenus dans les dimensions de contingence (notamment la capacité du pays à préserver ses ressources naturelles et à gérer les effets pervers de la périphéricité). Cela conduit à un état de résilience faible. Enfin, une résilience stable décrit l'idéal-type selon lequel les capacités de résilience d'un pays couvrent significativement les effets de ses sources de vulnérabilité.
Une application du NVRI sur données mondiales
Le NVRI est calculé pour un ensemble de variables auxquelles sont appliquées des méthodes de normalisation. Il est compris entre -1 (vulnérabilité) et 1 (résilience). La base de données utilisée comprend différents types de pays conformément à la typologie harmonisée de Nielsen (2011). Il s’agit des pays les plus développés (PPD), des pays à performance moyenne de développement (PMD) et des pays les moins avancés (PMA). En outre, pour tester l'hypothèse communément admise dans la littérature en économie du développement selon laquelle les Petits Etats Insulaires en Développement (PEID) forment une catégorie intrinsèquement vulnérable de pays, notre application distingue les quatre groupes suivants : les PPD (G1), les PMD (G2), les PMA qui ne sont pas des PEID (G3) et le groupe spécifique des PEID (G4). Une application du NVRI sur 95 pays sur la période 2000-2009 est réalisée ci-après.
Figure 3. Analyse comparative des NVRI moyens par catégorie de pays (2000-2009)
Contrairement à ceux du groupe G1, les pays du groupe G3 souffrent en moyenne d'une vulnérabilité nette à la fois dans les dimensions de contrôle (-0,05) et dans les dimensions contingentes (-0,17). Bien que l'isolement soit un facteur important de vulnérabilité pour les PMA, cette vulnérabilité est renforcée par des carences économiques et politiques. Par conséquent, au-delà des questions économiques et politiques, l'intégration opportune des PMA dans l'économie mondiale demeure une question clé qui doit être traitée au niveau national mais aussi international grâce à une aide au développement mieux ciblée.
Les pays du groupe G2 ont un rang intermédiaire de vulnérabilité-résilience entre ceux du groupe G1 et du groupe G3. La principale caractéristique des PMD (qui ne sont pas des PEID) est que l'équilibre entre leur capacité de résilience dans les dimensions de contrôle (0,02) et leur vulnérabilité dans les dimensions contingentes (-0,03) est tel que le NVRI (-1,17 %) ne diffère pas significativement de 0. Ces pays sont résilients dans leurs dimensions de contrôle (0,02) comme les PPD (0,25), mais vulnérables dans leurs dimensions contingentes (-0,03) comme les PMA (-0,17). De toute évidence, les PMD se différentient des PMA en termes de vulnérabilité-résilience mais doivent s'améliorer pour converger vers les PPD. En particulier, les PMD présentent encore un niveau élevé de vulnérabilité politique (0,50) qui est comparable à celui des PMA et des PEID.
Les PEID sont-ils confrontés à un déterminisme structurel en termes de vulnérabilité-résilience ? Les résultats montrent que les PEID sont plus vulnérables que le groupe de PPD. Cependant, la vulnérabilité des PEID est dans l'ensemble moins importante que la vulnérabilité des PMA et diffère peu de la vulnérabilité des PMD. En moyenne, il n'y a pas d'écart significatif entre les PEID (0,03) et les PMD (0,02) en termes de vulnérabilité nette dans les dimensions de contrôle. La légère différence entre ces deux groupes tient à l'incapacité des PEID à être moins vulnérables dans leurs dimensions de contingence (-0,07 en moyenne pour les PEID contre une valeur minimum de -0,06 pour les PMD). Dans l'ensemble, les domaines dans lesquels la résilience des PEID peut être améliorée se trouvent principalement dans les dimensions de contingence (en particulier, la périphéricité et l'environnement).
Par conséquent, être un PEID (pays développé) n'est pas en soi une condition suffisante pour être et rester vulnérable (résilient). Comme le montrent les résultats du NVRI, des situations différentes doivent être considérées. En effet, les PEID par exemple sont représentées dans les quatre profils de vulnérabilité versus résilience : la République dominicaine, les Maldives et la Jamaïque souffrent d'une vulnérabilité non contrôlée (« Profil 1 »); Maurice et Bahreïn présentent une vulnérabilité contenue (« Profil 2 »); les Bahamas montrent une résilience instable limitée (« Profil 3 ») et Singapour montre une résilience stable (« Profil 4 »).
L'intérêt du NVRI tient dans sa double lecture permise par la valeur agrégée de l'indicateur et les valeurs prises par chaque dimension. L'interprétation globale de l'indicateur permet de classer les pays les uns par rapport aux autres et de les évaluer selon leur capacité à atteindre les objectifs de développement durable. L'interprétation du NVRI par dimension met en lumière les sources de défaillance d'un pays donné. Dès lors, pour promouvoir la résilience, des mesures spécifiques orientées vers les dimensions fragiles devront être mise en place afin de neutraliser les sources de vulnérabilité.
Une utilisation du NVRI pour orienter l’action
En identifiant les forces et les faiblesses des différentes dimensions, le NVRI permet de savoir quelles actions soutenir de manière prioritaire pour quel type de pays.
Figure 4. Les déterminants de la vulnérabilité versus résilience en un coup d’œil
Bates & Angeon (2015)
Des recommandations pratiques issues des résultats de l'application du NVRI peuvent être spécifiées selon les particularismes des pays.
Trois clarifications peuvent être apportées sur la vulnérabilité des PMA (G3):
- L'éloignement est un facteur déterminant de la vulnérabilité de ces pays et est préjudiciable à leur développement. Cette vulnérabilité structurelle est alors appelée à demeurer un sujet de préoccupation majeure.
- La spécialisation et l'instabilité des exportations peuvent également bien être considérées comme des facteurs de vulnérabilité structurelle. La question des modalités d'intégration des PMA au commerce international est essentielle, la densité des infrastructures et des réseaux commerciaux étant un facteur qui influence la croissance économique des pays pauvres (Kali et al., 2013).
- La dimension environnementale n'est pas un élément négatif discriminant de la vulnérabilité dans les PMA. La caractérisation de la dimension environnementale du NVRI des pays de l'échantillon n'est pas significativement différente d'un groupe de pays à l'autre.
De la même manière, pour les PEID (G4), les conclusions suivantes peuvent être tirées :
- Les PEID de l'échantillon (Bahamas, Bahrain, République dominicaine, Jamaïque, Maldives, Maurice, Singapour) sont plus enclins à la vulnérabilité que les Etats insulaires développés (Chypre, Island, Indonésie, Irlande, Japon, Madagascar, Malte, Nouvelle-Zélande, Philippines, Royaume-Uni).
- La comparaison entre les PEID et les PMA montre que les premiers sont globalement moins vulnérables que les seconds. Ce résultat reste valide même lorsque Singapour est exclu de l'échantillon des PEID. Dès lors au vu de nos résultats, l'argument de l'extrême vulnérabilité des PEID (Briguglio, 1995 ; Atkins et al., 2000 ; Briguglio et al., 2009 ; UN, 2008 ; Guillaumont, 2010) rappelée lors de la troisième conférence internationale sur les PIED (SAMOA, 2014) apparaît discutable. Nos résultats empiriques confirment les conclusions de Easterly et Kraay (2000) et de Lee et Smith (2010). Ces derniers précisent en effet : “by presenting small states as a problem to be solved, vulnerability discourses divert attention away from the existence of unequal power structures that, far from being the natural result of smallness, are in fact contingent and politically contested” (Lee et Smith, 2010, p. 1091).
Pour ce qui concerne les PMD, nous montrons également l'importance de la dimension relative à la périphéricité dans la formation de la vulnérabilité. Plus un pays affiche un statut périphérique dans le commerce international, plus sa propension à la vulnérabilité est forte. En revanche, la performance sociale des PMD doit être soulignée. Tel n'est pas le cas du point de vue environnemental.
Pour les PPD, les observations suivantes peuvent être faites : Les PPD sont les pays les plus résilients de l'échantillon. Ces pays ont peu de chance de souffrir d'un choc (économique ou environnemental) qui les conduirait à la pire des situations (la vulnérabilité incontrôlée). Cependant, il est possible d'imaginer un seuil en deçà duquel l'avènement d'un choc négatif pourrait rendre ces pays inaptes à le résorber rapidement. Néanmoins, pour tout choc de même ampleur, la capacité de rebond des PPD serait bien plus importante que celle des autres pays.
L'écart entre les PPD et les autres groupes de pays pour ce qui concerne la dimension environnementale est bien moins important que celui constaté entre ces pays pour les autres dimensions. Les bons résultats en termes de résilience enregistrés par les PPD ne doivent pas conduire à sous-estimer la dimension environnementale. Une politique environnementale forte permettra indéniablement à tout type de pays (quel que soit son niveau initial de croissance et de développement) de réaliser des performances sur le long terme.
Bien que les PPD présentent une résilience stable, il est possible d'améliorer leur dimension environnementale. Ce résultat n'est pas surprenant étant donné la très récente incorporation des questions environnementales dans l'élaboration des politiques. La démarche politique pour accroître la capacité de résilience des PPD inclut l'amélioration des processus économiques et environnementaux, la promotion de pratiques respectueuses de l'environnement et l'adaptation de la gouvernance à la gestion des problématiques environnementales. Les PPD ont une capacité d'impulsion dans ce domaine. En effet, dans l'immédiat, ce sont les seuls qui possèdent les ressources économiques, les structures politiques et une prise de conscience sociale nécessaire pour promouvoir la résilience dans la dimension environnementale.
Ainsi, la qualité de la gouvernance mais aussi les choix de politique économique et de stratégie de croissance opérés sont des facteurs explicatifs discriminants du développement (durable) d'un pays.